Ce dossier est paru dans la newletter n°151 du 10 janvier 2007, d' univadis

Il renferme l'ensemble des conseils, des pratiques qu'il convient d'appliquer lors de la prise en charge d'un hémophile, conseils et pratiques qui sont également applicables aux enfants…

Ce sont des pratiques empruntes de sagesse, tirées de l'expérience de nombreuses années dans les Centres de Traitement… à lire et à suivre très scrupuleusement.

 

 

 

10/01/07 (ESTEM)

Dr Axel Ellrodt

L'hémophile adulte aux urgences

 

Avec la participation du Dr Thierry Lambert, Centre de Traitement de l'Hémophilie, CHU Bicêtre, Val de Marne

 

Points importants

Pensez au diagnostic en cas de saignement anormal (spontané et inhabituel, ou après un traumatisme mineur)

Le malade hémophile connaît bien sa maladie, sa famille aussi. Mettez-les en confiance en posant les bonnes questions (plus loin). Ecoutez bien ce qu'ils disent même s'il y a un peu d'agressivité (ils ont l'expérience de l'inexpérience des non-spécialistes).

Les hémophiles savent consulter pour des symptômes mineurs, quant ils sentent qu'il se passe quelque chose de sérieux.

Trop d'investigation nuit moins que de laisser se constituer une catastrophe par esprit d'économie.

Attention: les patients atteints d'hémophilie modérée ou mineure connaissent beaucoup moins bien leur maladie et consultent parfois tardivement, avec des saignements évolués qui n'ont pas été repérés comme tels.

Examen doux : ne mobilisez pas inconsidérément les membres. Palpez doucement d'abord.

Pas de prise rectale de la température ; Pas d'injection intramusculaire.

Sans substituer, on ne peut faire d'autre ponction que veineuse périphérique.

Pas d'aspirine ; Pas d'AINS aux urgences.

Le malade hémophile peut avoir n'importe quelles maladies, comme tout autre patient, ne les oubliez pas.

Devant tout incident même très évocateur d'hémorragie, recherchez tout signe d'affection intercurrente.

Les produits de substitution sont fournis par les pharmacies hospitalières.

  Le meilleur produit de substitution est celui que le patient utilise d'habitude.

  En cas d'urgence grave, le meilleur produit de substitution est celui qui est disponible immédiatement.

Substituez toujours en cas de traumatisme crânien ou vertébral, de traumatisme violent. Et immédiatement, sans attendre.

Mieux vaut substituer que prendre le risque d'un saignement majeur ou retardé dans les 24-48 h.

L'efficacité des produits de substitution est atteinte dès la fin de la perfusion.

En cas d'accident hémorragique, ou de nécessité d'un geste potentiellement hémorragique, ou au moindre doute,

contactez le médecin compétent pour l'hémophilie de votre secteur ou l'hématologue de garde.

Pensez à une hémophilie !

Tout patient qui se dit hémophile est hémophile jusqu'à preuve du contraire.

Evoquez l'hémophilie en cas d'accident hémorragique important spontané ou après un traumatisme minime.

Le TCA allongé avec un Quick et des plaquettes normaux et le dosage des facteurs VIII et IX confirmera le diagnostic.

Comme toujours en urgence :

On note les signes vitaux (fréquence respiratoire, pouls, pression artérielle, conscience, saturation oxygénée, si disponible) et le degré de douleur (échelle visuelle ou verbale).

Pas de mesure de température rectale.

N'oubliez pas de rechercher des symptômes "subtils" d'hypovolémie importante: malaise ou ''vertige'', sensation de tête vide au lever, troubles de conscience.

Traitement Immédiat des défaillances et de la douleur selon la règle des "ABC" (12) : Ailway Breathing Circulation (ou, en français,

liberté des voies aériennes, ventilation, circulation ... ). Attention: seulement des gestes doux, des voies veineuses périphériques, et substitution avant tout acte invasif sauf péril immédiat.

A noter : en cas d'hémophilie connue, dès le triage du patient, on doit :

Faire prévenir le centre de traitement de l'hémophilie dont relève le patient,

Commander le produit de substitution en cas de traumatisme,

Noter tous les traumatismes même mineurs.

 

Centres de traitement : http://www.cometh.net/pages/cometh/set_cometh03.html

 

Conduite à tenir générale :

1- Mesures de bon sens

Hémostase locale : compression, suture, remplissage vasculaire ...

Immobilisation des fractures, des membres douloureux, du rachis.

2- Carte ou au Carnet d'hémophile, interrogatoire

Type d'hémophilie: A (VIII) ou B (IX) ?

Sévérité: hémophilie sévère : taux de facteur < 1 % ou modéré ? A-t-il des anticorps circulants (ACC ?)

Quel type de produit utilise-t-il ?

Pour l'hémophile A modéré, les spécialistes de l'hémophilie utilisent, hors AMM, un médicament agoniste post-hypophysaire (dont l'indication est le diabète insipide rénal) que l'on ne peut citer ici.

Ce traitement, reconnu des spécialistes; fait l'objet d'un test d'efficacité chez les hémophiles A modérés.

Il faut demander au patient si ce médicament est habituellement efficace chez lui. Quel a été le résultat de l'épreuve préalable ? Et peut-il résoudre le problème actuel ? Son effet est temporaire.

Joindre le spécialiste de l'hémophilie.

3- Examen clinique avec délicatesse (douleur, risque hémorragique) !

Les affections propres à l'hémophile sont quasiment toutes douloureuses, parfois très douloureuses.

Si l'on n'a pas l'habitude de ces patients, on leur fait facilement mal.

Le fait de les examiner ou manipuler avec précaution les met utilement en confiance.

Quelques situations cliniques

Complications hémorragiques spontanément ou après traumatisme, même mineur

 Le patient consultant pour un symptôme après un traumatisme mineur ou pas, doit être substitué au plus vite sans attendre un examen complet. Si l'examen peut aggraver le saignement, la substitution passe avant.

Hémarthroses

L'hémarthrose peut ne se signaler que par des douleurs ou de vagues sensations de gêne articulaire.

Une symptomatologie articulaire peut aussi témoigner d'une fracture ou d'une arthrite septique, alors méfiance!

Épistaxis

En cas d'épistaxis, il faut éviter le méchage et les tampons traumatiques, car le retrait peut être hémorragique. Substituez seulement si c'est une épistaxis abondante ou persistante, faites moucher doucement, pulvérisez un vasoconstricteur ou introduisez un filet de coton imbibé d'un antiseptique anesthésique local, faites comprimer. Méchage résorbable ou tampon hémostatique en dernier recours (après substitution bien sur).

Hématomes musculaires et des tissus mous

Abandonnez toute pensée de ponction d'hématome !

Hématome du psoas : douleur abdominale et/ou lombaire, ou à l'aine, ou à la région de la hanche. Elle irradie alors vers la lombe ou la cuisse. Une anémie aiguë est possible, fièvre possible. Attitude en psoïtis = flexion partielle de la cuisse sur le bassin. Douleur à la tentative douce d'extension de la cuisse à l'horizontale. La manipulation douce de la coxo-fémorale, en respectant le psoïtis, ne révèle que peu ou pas de douleur. Parfois, on note une compression du nerf crural ou de ses racines: hypoesthésie de la face antérieure de la cuisse avec abolition ou diminution du réflexe rotulien, paréSie du quadriceps (la cuisse étant maintenue ~n flexion passive sur le bassin par l'opérateur en raison de la douleur).

Confirmation, après substitution, par échographie ou mieux par scanner.

Hématomes dans les parois du tube digestif (sub-occlusion) : diagnostic en échographie ou au scanner devant un abdomen aigu, après substitution.

Hématomes des muscles grands droits : il peut passer pour une urgence viscérale. Diagnostic en échographie ou au scanner.

En fait, devant un abdomen aigu, vous substituez, puis vous faites une imagerie, souvent l'échographie en premier, en vous souvenant des trains qui peuvent en cacher d'autres.

Hématomes du cou : risque asphyxique : substitution d'urgence, et contrôle des voies aériennes.

Hématomes des membres : zones les plus à risque: aine, aisselle, creux poplité, face antérieure de l'avant bras, fesse, mollet, paume et plante) : risque de syndrome de loge avec ischémie aiguë.

Hématomes du plancher de la bouche et de la région orbitaire : il faut les substituer d'urgence.

Hémorragie et hématomes cérébraux : scanner facile en cas de traumatisme crânien ... pour ne pas substituer trop tard. Des retards de diagnostic sont souvent notés. Aucun traumatisme n'est retrouvé dans presque la moitié des hématomes cérébraux entre 15 et 49 ans, la proportion passant à 70 % après 50 ans.

Compression médullaire par hématome intra-rachidien : douleur rachidienne, raideur, signes de compression parfois discrets: scanner "facile" en cas de traumatisme rachidien.

Anémie aiguë grave : substitution et transfusion d'urgence. La transfusion est évitée si le saignement est contrôlée et la situation non menaçante.

Hémorragie digestive haute et basse :

Substituez jusqu'à tarissement.

Recherchez la cause (ce n'est pas l'hémophilie toute seule qui en est responsable, tout comme avec les anticoagulants surdosés).

Hématurie :

Seule hémorragie à ne pas substituer a priori. Assurez une diurèse abondante, sauf en cas de douleur de colique néphrétique. C'est une contre·indication absolue des antifibrinolytiques. En cas de caillotage et de rétention, le sondage avec lavage de vessie doit être fait après une substitution. Recherchez une cause: ECBU et échographie urinaire.

Plaie intra-buccale :

Faites rincer la bouche.

Compression manuelle avec une compresse imbibée d'un antifibrinolytique pendant 10 minutes. Alimentation semi-liquide froide durant 3 à 4 jours.

2- Cas de la perte de connaissance

C'est l'occasion de se blesser, donc de saigner,

c'est un mode de révélation des saignements intracrâniens,

et des hémorragies internes, comme pour toute autre personne,

autrement dit : on substitue et on recherche le saignement.

3- Circonstances non traumatiques exposant aux hémorragies

Convulsions.

Méningites.

Toxoplasmose cérébrale.

Médicaments ulcérogènes ...

4- Abdomen aigu

Devant un abdomen aigu, vous substituez, puis vous faites une imagerie, souvent l'échographie en premier, en se souvenant des trains qui peuvent en cacher d'autres, après substitution.

5- Complications infectieuses

Celles de l'infection par le VIH.

6- Complications de la cirrhose

La cirrhose post-hépatite C touche de nombreux patients.

Prélèvements sanguins

Précautions ... comme pour tout malade (VIH-HBs).

Compression du point de ponction 10 min. + pansement compressif 36 heures!

NFS, groupe + RAI.

Hémostase avec recherche d'anticoagulant circulant (ACC) - Résultat de l'ACC le lendemain, sauf urgence (à envoyer immédiatement pour congélation).

Substitution et geste local

Compression, immobilisation en cas d'hématome ou hémarthrose, méchage des épistaxis avec matériel résorbable, suture des plaies + pansement compressif. L'indication de la suture est large en raison du risque de saignement secondaire de plaies sèches au moment de l'examen. Complétez la suture par une immobilisation si elle est en zone mobile.

Substitution : vous avez le plus souvent le temps de contacter le médecin spécialiste en hémophilie.

Si la dose calculée est inférieure à la dose du flacon ... administrez tout le flacon, il n'y a pas de risque de surdosage.

 

Sinon, les notions essentielles sont les suivantes :

1 U/kg de facteur VII' ou IX fait augmenter les taux respectivement de 2 % chez l'hémophile A, de 1 % chez l'hémophile B.

Hémophile A, sans ACC.

Concentré de facteur VIII : produit habituel du malade sauf urgence extrême (T1/2 = 8-12 h quel que soit le produit)

20 à 30 U/kg en 10 min. Jusqu'à 3/24 h)

50 U/kg en cas d'accident hémorragique grave ou d'intervention chirurgicale.

Hémophile B.

Concentré IX: produit habituel du malade sauf urgence extrême: (T1/2 = 18-24 h)

30 U/kg en 10 min. Une dose /12 h

50 U/kg en cas d'accident hémorragique grave ou d'intervention chirurgicale.

Hémophile avec ACC : joindre le spécialiste.

 

N'oubliez pas !

Antalgiques per os ou IV ou SC,  jamais d'lM. 

Attelles d'immobilisation.

Pas de température rectale.

Pas de gaz du sang : ponction artérielle uniquement après avis ou substitution. Les gaz veineux sont souvent substituables aux gaz artériels, en particulier pour l'acidocétose diabétique.

L'oxymètre ne suffit-il pas? Compression 10 min. et pansement compressif 36 heures.

Notez sur le carnet d'hémophile le motif de l'injection, la date, l'heure et la dose injectée et le numéro du lot (vignette à coller).

Hospitaliser ou pas ?

Tout saignement en zone menaçante justifie l'hospitalisation,

comme la perte subite de l'autonomie en l'absence d'entourage suffisant (hémarthroses, hématome du psoas ... ).

Suivez donc l'avis du centre de traitement de l'hémophilie.

 

Références

1.             Prise en charge en urgence d'un patient hémophile suspect d'hémorragie. ANAES, 1996.

2.             Stieltjes N., Calvez T., Demiguel V., Torchet M-F., Briquel M-E., Fressinaud E., Claeyssens S., Coatmelec B., Chambost H.; French ICH Study Group.

Intracranial haemorrhages in French haemophilia patients (1991-2001): clinical presentation, management and prognosis factors for death. Haemophilia. 2005 Sep ;11 (5):452-8.

3.             y. Laurian et A. Ellrodt. L'hémophile aux urgences. ln Urgences Médicales, 5e édition, Ellrodt A., Estem de Boeck, Paris 2005.

 

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